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Article : La route tue plus que le paludisme au Cameroun par Daouda Mbouobouo

LA ROUTE TUE PLUS QUE LE PALUDISME AU CAMEROUN

(Regard croisé entre un tueur à sensation et un tueur silencieux)

Cet euphémisme pourrait être corroboré par une réalité plus éprouvante car :

Comment ne pas s’indigner face au nombre croissant de morts enregistré depuis au moins cinq ans sur nos routes ? Comment ne pas s’arrêter sur ce qui est en passe de devenir une catastrophe aujourd’hui ? Comment comprendre que malgré les campagnes nationales de sensibilisation des automobilistes et de prévention routière, par des patrouilles de contrôle mixte de la gendarmerie et de la police, que l’on en soit toujours à comptabiliser les tués sur nos routes ? Un nom de baptême a même été attribué à cette vertigineuse, ainsi  le tronçon Yaoundé- Douala- Bafoussam s’est illustré par ce nom : « le triangle de la mort ».

Nous n’avons quasiment pas de routes mais les rares que nous avons tuent énormément. Elles tuent plus que dans les pays où les réseaux routiers sont plus denses, élaborés, plus développés, alors que plus exposées aux dangers de la vitesse. Il ne s’agit donc pas d’un problème de limitation de vitesse, encore moins d’intégrer l’erreur humaine, mais de mettre en place une politique  efficace de sécurité routière à proprement dit, puisque sur ces routes aux boulevards libres et gigantesques, dont on peut prétendre rouler à tombeau ouvert, on n’enregistre pas ce genre de calamité que l’on vit dans notre pays. Elles tuent, nos routes encore plus que le paludisme et le SIDA réunis ! L’hécatombe des hommes sans repères. Le convoi à chaque fois désespérant des âmes abandonnées à elles-mêmes qui obligées de se déplacer se confient à Dieu. Advienne que pourra !

CONSTAT

L’environnement des transports est gangréné par un système qui effraie. Il ne s’agit pas d’invectives personnelles mais d’un constat qui fait peur puisque tout le monde sait tout et personne ne fait rien, pour autant qu’on n’ait pas encore été victime.

Tout commence par la délivrance des permis de conduire. Un frère occupe un poste qui lui permet de faciliter l’obtention du permis de conduire à un frère qui n’a pas de travail. Tiens ! Voilà une opportunité, et pourquoi pas ? Le permis est facilité et délivré à ce dernier qui a hâte de prendre la route et de prouver qu’il a de la respectabilité. Le frère est important dans la République. C’était peut-être le beau-frère qui chômait, il a rendu un fier service à sa belle-famille, il est valable. Non, il s’est débarrassé assez rapidement d’une pression qui était devenue une épine et l’empêchait pratiquement de dormir. Ces cas peuvent être multipliés par dix voire cent, ainsi commence souvent la marche lente vers l’enfer.

Tiens ! Je connais un réseau, en une semaine tu as ton permis. C’est le même montant à payer que celui que l’on demande pour faire la formation mais on obtient le précieux sésame en un laps de temps record et sans jamais avoir mis un pied dans une auto-école.

Tiens ! Le système est en train de se corser, l’informatique est imparable. On te fera un vrai faux ! Ah c’est quoi le vrai faux ? Tout simplement, tu iras t’asseoir comme tous les autres pour composer, ça ne sera qu’une formalité.

En général, le tour est joué, le précieux sésame, objet de toutes les convoitises est dans la poche au mépris de toutes les règles. Advienne que pourra !

Nous sommes à présent dans les services techniques de visite des véhicules, encore une formalité. Le bureau le plus dynamique c’est la caisse avec le reçu qui fait foi, attesté par une vignette, sans oublier le pourboire remis au garçon de service, qui pourtant joue un rôle névralgique pour la certification jugée conforme de l’engin. Vous vous entendrez dire «  J’ai juste voulu aider, régler toutes ses pannes au plus vite » avec un large sourire complice et le tour est encore joué.

Dans les locaux de l’agence, le véhicule est prêt à partir, c’est alors que le mécanicien de fortune, tandis que les passagers s’installent dans le car, s’active à desserrer et resserrer certains boulons.  Il s’incline maintenant bien bas, puis se couche sur un tapis sous le bus, le vidant du peu d’huile qui lui restait et prend son rôle très au sérieux. Les passagers continuent à embarquer non sans stupéfaction mais c’est comme ça. De toute façon, le destin est là  et la providence aussi. Dieu ne dort pas ! Il veillera sur nous.

Au ministère, les fonctionnaires se tournent les pouces, les licences de transport délivrées sont automatiques. On ferme les yeux sur tout,  car les opérateurs dans ce secteur ont de gros moyens financiers et le bras long .Ils se comptent parmi les amis des hauts responsables quand ils ne brandissent pas simplement la carte du parti.

Tout le monde sait tout sur tout et personne ne fait rien. Un accident est vite arrivé et une mesure de suspension tombe. Le lendemain, l’agence a repeint ses cars, leur a donné un nouveau nom au vu et au su de tout le monde en attendant le prochain crash, le précédent étant vite oublié. Les statistiques continuent de battre tous les records. Les organismes les consignent dans leur rapport et nos tronçons routiers sont surlignés en rouge.

La route venons-en au fait, ce tueur à sensation au-delà de l’irresponsabilité  des chauffards et leurs hangars mal famés même si le musicien Black Rogers nous disait qu’elle ne tue  pas mais que c’est nous qui tuons à cause de nombreuses maladresses. C’est vrai car dans 90 % des accidents mortels, le comportement humain est en jeu, les infrastructures interviennent à  30 % et les facteurs liés aux véhicules à 50 %.  Notons au passage que le Cameroun est doté d’un Fonds routier œuvrant au financement de la route, d’un Conseil de la Route qui est une instance de consultation, de concertation et de coordination des opérations projets, programmes et politiques, relatifs au secteur routier, placée sous l'autorité du premier ministre, Chef du gouvernement, et regroupant en son sein les représentants du secteur public, du secteur ... Voici plus d’un an que l’on parle de la modernisation du réseau routier au Cameroun. D’ailleurs à l’issue de la 19e session du Conseil National de la Route, le Premier Ministre Chef du Gouvernement avait prescrit la mise sur pied d’un Fonds Routier autonome et d’un Office de Sécurité Routière. Plusieurs réunions se sont tenues à cet effet, des réunions interminables pendant que les routes continuent allègrement de tuer. Certes les causes d’accident sont multiples, les facteurs humains, véhicules défectueux, routes surchargées, mais l’état de la route reste et demeure préoccupant.

L’ALERTE !

Selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS),  rendu en Mai 2017 les accidents de la route entraînent plus de 1,25 million de décès par an environ  alors que la lutte contre le  paludisme, tueur silencieux  est à la croisée des chemins tout comme le SIDA d’ailleurs où un nouveau rapport du 29 Novembre 2017 montre un arrêt de progrès du paludisme. 

A cette allure, le Cameroun raflera certainement la palme d’or du contributeur le plus élevé,  si un plan d’urgence pour enrayer le phénomène n’est pas décrété tout de suite sur nos routes. Les accidents de la route entraînent des pertes économiques considérables pour ceux qui en sont victimes, leur famille et le pays dans leur ensemble. Ces pertes proviennent du coût des traitements et des pertes de productivité pour ceux qui en meurent ou restent handicapés à la suite de leurs blessures, ainsi que pour les membres des familles qui doivent interrompre leur travail ou leur scolarité pour s’occuper des blessés. Les accidents de la route qui n’épargnent personne, sont la première cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans. Le Cameroun figure parmi les principaux pays à revenu faible ou intermédiaire dont les décès majoritairement surviennent sur les routes. Le taux de mortalité le plus élevé concerne les personnes appartenant aux classes socio-économiques défavorisées car elles risquent davantage que les personnes plus aisées d’être impliquées dans un accident de la route empruntant pour la plupart des charters, les charters de la mort. Sans oublier que les accidents de la route coûtent à ce pays 3 % de son produit intérieur brut. A côté des risques liés à la corruption, d’autres  facteurs de risques sont identifiés à l’instar de la vitesse, la conduite en état d’ébriété ou sous l’influence de substances psychoactives, les infrastructures routières dangereuses, distraction au volant, les véhicules dangereux, le non-respect du code de la route etc.

Propositions

Nous pouvons nous poser la question de savoir ce qu’il faut faire pour lutter efficacement contre les accidents de la route ? Certes, des pistes données par les rapports de l’OMS et plusieurs organes créés à cet effet existent car loin d’être un coup du sort, il est possible de prévenir les accidents de la route. Notre carte routière a déjà recensé des zones accidentogènes. L’approche doit être globale dans la recherche de solutions durables. Ca ne doit plus être uniquement l’affaire du ministère des transports, des travaux publics, de la gendarmerie ou de la police mais il est nécessaire d’impliquer également d’autres secteurs comme la santé, l’éducation, la recherche scientifique, les populations afin d’agir pour garantir le triptyque : routes, véhicules et usagers. L’efficacité implique : la conception d’infrastructures plus sûres, l’intégration d’éléments de sécurité routière dans l’utilisation des sols (recherche scientifique et technique), la planification réelle des transports, soins en urgence aux victimes après les accidents, et non exhaustif le respect de lois portant sur les principaux risques, la sensibilisation du public.

                                                                                         Daouda MBOUOBOUO

                                                                                              ECRIVAIN /JURISTE   

Présentation de l'auteur

Article publié sur le journal du net Camer.be  21/01/2018

http://www.camer.be/65816/30:27/cameroun-daouda-mbouobouo-a-la-route-tue-plus-que-le-paludisme-au-cameroun-a-cameroon.html